Comment voyager sereinement avec un tout-petit (0 à 3 ans) ?


Bonjour, vous partez bientôt ? Et vous vous posez beaucoup de questions ?

Après de nombreux voyages avec mes enfants, et un tour du monde en famille pendant un an, j'ai rassemblé dans le livre "Voyager avec bébé" les réponses et les conseils utiles pour que chaque parent puisse rapidement mieux voyager avec ses bambins.

Ce blog est mon atelier d'écriture. Si vous n'êtes pas trop pressé, je vous invite aussi à le visiter et y participer. J'y ai pris des notes pour la préparation de certains chapitres du livre. Vous y trouverez en outre des articles sur des sujets connexes à ceux traités dans le livre, quelques récits de mes voyages, ainsi que ceux d'autres parents ou contributeurs invités.

30 août 2016

Nomades contre sédentaires ?

Les voyages nous poussent à réfléchir sur le monde et les enfants sur l'avenir. Nos envies de nomadismes sont parfois en conflit avec nos envies sédentaires. Mieux comprendre cette tension qui façonne le monde et qui nous habite intérieurement peut nous aider à y voir plus clair et à finalement faire de meilleurs choix de vie et de vacances.

Dans le livre "Voyager avec bébé", un chapitre est consacré aux motivations qui peuvent nous pousser à voyager avec un bébé. Mieux discerner nos motivations nous aide toujours à faire de meilleurs choix, et donc dans le cas qui nous occupe ici, à être plus heureux en vacances avec nos enfants.

Ceci étant, questionner nos envies de nomadismes est un sujet vaste et aux nombreuses ramifications. Dans cet article, nous nous interrogerons plus précisément sur la tension qui existe entre nomades et sédentaires. Nous sommes traversés d'envies contradictoires, reflets de nos sociétés et de l'histoire. Mieux comprendre cette tension peut nous aider à mieux nous en libérer.

Si vous lisez cet article et débattez ensuite de vos envies de voyage avec vos amis ou votre famille, vous aurez à votre disposition, quatre arguments philosophique de plus, qui se prêtent plutôt bien à la discussion.

Les relations sédentaires et nomades ne se résument pas à une simple coexistence pacifique et à une vertueuse collaboration, loin s'en faut, même si l'on ne peut pas nier que les synergies ont été nombreuses et qu'elles ont joué un rôle capital dans l'histoire. L'antagonisme, l'exploitation des uns, la jalousie, la défiance et la peur des autres.... font aussi partie de la réalité des liens qui unissent et parfois opposent sédentaires et nomades.

C'est en outre un bon cas d'école, pour mettre en application ce que Edgar Morin appelle le principe de dialogisme, qui nous aide à penser des phénomènes complexes, et qui nous invite pour cela à envisager l'association complémentaire des antagonismes, à relier des idées qui en nous se rejettent pourtant l'une l'autre, sans pour autant nier leur opposition.

Une lutte mythique qui semble se prolonger indéfiniment

Cette lutte entre sédentaires et nomades, Michel Serres l'illustre à merveille à partir du mythe de Caïn et Abel dans le dossier principal du Philosophie Magazine de mai 2016 [1].

Caïn est un cultivateur (le sédentaire) qui tue, par jalousie, son frère Abel, le pasteur de petit bétail (le nomade). En punition, Caïn erra sur la Terre, poursuivie par l'ire divine et surveillé par son œil ubiquiste.

Abel et Caïn rejouent le conflit anthropologique entre nomade et sédentaire qui se perpétue depuis l'apparition des premiers agriculteurs sédentaires, il y a environ douze mille ans.

La querelle entre les deux est inéluctable et sans fin : Attila au Ve siècle ou Gengis Khan au XIIe siècle, c'est la vengeance d'Abel, des conquérants à cheval (nomades), sur des populations essentiellement paysannes (et sédentaires). Puis vient la féodalité où le noble, le chasseur (nomade), asservit le cultivateur (sédentaire). Mais les paysans condamnent ensuite Abel à la guillotine lors de la révolution française... de sorte que cette lutte semble interminable.

Aujourd'hui l'aristocratie errante est aussi la bourgeoisie possédante qui tient le commerce et l'industrie, voire qui spécule, comme les traders, directement sur le sort des pauvres paysans. Mais d'un autre côté, les migrants et les gens du voyage sont discriminés et encore perçus comme une menace par les sédentaires.

Abel est-il une nouvelle fois victime aujourd'hui ? Ou seraient-ce au contraire les Caïns d'aujourd'hui qui sont persécutés par les riches nomades qui les asservissent et saccagent au passage la planète pour assouvir toujours plus leurs désirs ?

Une tension archaïque du vivant

On peut remonter très loin dans la chaîne du vivant : la tension archaïque entre s'arrêter et courir anime tout le règne animal depuis la nuit des temps, et précède la lutte entre bergers et agriculteurs. Courir pour attraper son gibier, échapper à ses prédateurs, mettre la plus grande distance entre soi et ses excréments... s'arrêter pour manger, dormir, s'accoupler, allaiter et protéger ses enfants.

En tant qu'être vivant, nous sommes déchirés entre l'obligation de bouger et celle de se poser, nous sommes à la fois nomades et sédentaires.

La sédentarité et le nomadisme face au souci de l'environnement et d'une plus grande justice sociale

La sédentarité comme le nomadisme peuvent être tour à tour vu comme destructeur ou protecteur de l'environnement et d'une certaine idée de la justice sociale.

On peut défendre l'idée d'une sédentarité plus respectueuse de l'environnement, qui prendrait soin de son lopin de terre et qui limiterait sa consommation comme ses rejets.

Ou au contraire, voir dans la sédentarité la source première de nos malheurs :
"Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire..." - Jean-Jacques Rousseau - Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
On peut arguer qu'un nomade qui se déplace à un rythme lent et d'une manière suffisamment écologique, pollue moins qu'un sédentaire qui cherche par nature à transformer son environnement.

Ou au contraire, incriminer le grand nomadisme capitaliste, des maux de notre siècle. Ceux qui auraient commencé à vendre des épices, puis des tulipes hors de prix au XVII siècle, seraient les lointains prédécesseurs de ceux qui nous vendent aujourd'hui tous ces biens nomades comme les smartphones, voitures etc. Pourtant est-ce à dire que le nomadisme serait devenu l'apanage des plus riches ? Ce serait dès lors oublier les populations de migrants qui fuient les guerres ou la misère, les sociétés nomades traditionnelles, etc.

Vers une vision globale et interdépendante

Le monde du début du XXIe siècle s'apparente davantage à un village globale qu'à une grande communauté de chasseurs-cueilleurs. Même si nous nous déplaçons plus qu'auparavant, notre monde ressemble à un immense village, c'est à dire à un système artificiel qui se préoccupe de contrôler et de transformer l'environnement pour répondre à nos désirs.

Ceci étant, ce système artificiel qu'est aujourd'hui le monde semble s'être donné comme objectif à long terme de faciliter la mobilité des individus tout en préservant l'environnement.

Y parviendra-t-il ? Les défis à relever pour cela sont d'une grande difficulté et complexité. Pourra-t-on éviter le réchauffement climatique et les maux qu'il entraîne, tout en facilitant la vie nomade à laquelle beaucoup semble aspirer ? Cette liberté pourra-t-elle être également accessible à tous, et non l'apanage de quelques privilégiés ?


Références :
"Nomades contre sédentaires - la nouvelle lutte des classes" du Philosophie magazine n°99 de mai 2016.